Si
tout n’a pas péri avec mon innocence, roman d’Emmanuelle
Bayamack-Tam, nous raconte l’histoire de Kimberly, plus précisément son
adolescence puisque le roman s’ouvre lorsqu’elle a neuf ans et se termine quand
elle en a dix-huit. Kimberly est née dans une famille nombreuse et ses parents
sont des adultes qui ne donnent pas envie de grandir tant ils sont puérils,
irresponsables et égocentriques. Kim est passionnée de littérature et voue une
admiration sans limite à Baudelaire. C’est la poésie qui lui permettra de
sortir la tête hors de l’eau lors des événements traumatisants de sa vie, elle
se fera même tatouer des alexandrins sur les poignets tant la littérature lui
colle à la peau.
Emmanuelle Bayamack-Tam a instillé beaucoup d’humour
et de provocations dans ce roman, je resterai marquée par le passage avec les
grenouilles qui est très surprenant et qui vient confirmer le ridicule de
Gladys (la mère de Kim). De même, la première phrase m’a beaucoup plu car elle
bouscule d’emblée le lecteur et donne le ton du livre : « Quand ma
grand-mère tente de refermer les cuisses, la sage-femme l’en empêche et
entreprend de bouchonner sans ménagement son périnée endolori », on
imagine à ce moment-là une vieille dame en train d’accoucher sans réaliser
immédiatement que la narratrice évoque la jeunesse de sa grand-mère. J’ai ri à
plusieurs reprises lors de ma lecture alors que l’histoire de l’héroïne n’a
rien de drôle car la mort et la prostitution font partie de son
adolescence, on oscille entre comédie et tragédie, on passe de l’un à l’autre
sans transition. Certains passages manquent de vraisemblance, la rencontre
entre la sage-femme et Kim me parait surfaite mais, ce roman ne cherche pas le
réalisme, il cherche plutôt à nous distraire en nous emportant dans son
univers, et c’est réussi !
Les personnages de ce roman sont intéressants et
bien caractérisés par l’auteure. Je me suis attachée à Kim, cette jeune fille
est à la fois forte et fragile, j’ai trouvé très intéressant le fait de la voir
évoluer dans cette période charnière de sa vie. Les membres de la famille de la
jeune fille sont décrits avec un peu moins de subtilités mais ils n’en restent
pas moins intéressants : ils ont leurs fragilités et sont, pour certains,
comiques malgré eux. Quant au personnage de Gladys (la sage-femme) je l’ai
trouvée très déplaisante : non seulement elle encourage une jeune fille de
18 ans à se prostituer, mais en plus, ses réflexions sur les rapports
hommes/femmes sont à mon sens bourrés de clichés et très réducteurs. L’auteur
la rend si sûre d’elle quand elle donne ses opinions que j’en ai été agacée, ce
personnage croit tout savoir, avoir tout vu, tout vécu et tout connaître de la
nature humaine…
L’intrigue est bien ficelée et l’auteure sait capter
l’intérêt de son lecteur aussi bien par les annonces qui ménagent un certain
suspense (je pense en particulier à l’annonce de la tragédie concernant l’un
des deux frères) que par la construction du roman en chapitres courts. Ainsi,
les pages se tournent sans que l’on s’en rende compte.
Cette lecture a donc été très agréable pour moi
malgré mes réticences de départ. Celles-ci ne sont absolument pas dues à l’auteure
mais à l’éditeur : j’aime avoir une idée de ce que je vais lire par la
quatrième de couverture, or, ici, elle est minimaliste et l’on n’a d’information
ni sur l’histoire ni sur les tonalités du roman. Ce n’est donc pas un livre
vers lequel je serais allée spontanément en librairie et je serais passée à
côté des bons moments qu’il m’a procurés.
Voici les premières lignes du roman :
"Quand ma grand-mère tente de refermer les cuisses, la sage-femme l'en empêche et entreprend de bouchonner sans ménagement son périnée endolori. Ma grand-mère ferait bien d'interroger la signification de cette brutalité, mais comme elle a toujours eu le chic pour profiter des bons moments, elle s'accorde le répit que lui laissent la paix retrouvée de ses viscères et l'escamotage fulgurant de son nouveau-né. Elle promène distraitement la main sur son ventre effondré et a juste le temps d'en percevoir les dernière contractions, la réplique mourante du grand chambardement, avant d'être délivrée d'un placenta dont elle ignorait l'existence et qui s'expulse d'elle en trois soubresauts voluptueux."
J'avais assisté à la remise du prix qu'elle avait gagné dans le cadre du festival Etonnants voyageurs.
RépondreSupprimerCa devait être génial, j'adore rencontrer des auteurs ! As-tu pu lui parler ?
SupprimerTu as bien fait de passer outre tes réticences.
RépondreSupprimerOh que oui. Comme quoi, la présentation d'un éditeur peut nous faire passer à côté d'un bon moment.
Supprimer